top of page

Chapitre V

Dernière mise à jour : 10 nov.



— Dans l’atelier de Moreau ? déglutit Lilu, incrédule. On peut remonter le temps avec la Connaissance ?

— Remonter le temps est impossible, explique Casiteg calmement, mais voir ce qui a déjà existé… ça, la Connaissance le peut. 

Un mélange de surprise et de curiosité commence à chasser les doutes de Lilu.

— Et comment ça marche ?

— Tout d’abord, ton poignet gauche me sera très utile.

La curiosité l’emportant, Lilu tend la main. Casiteg passe la sienne au-dessus et l’agite lentement dans les airs. Des picotements engourdissent la peau de son poignet, rappelant à Lilu ceux qu’elle avait ressentis en se faisant tatouer avec Solal pour ses vingt ans. Lorsque le mouvement s’achève, elle lève le bras et découvre deux « C » entrelacés inscrits sur sa peau.

Le symbole de la Connaissance ! s’exclame-t-elle en pensées.

— C’est l’une de tes créations les plus ingénieuses, dit Casiteg avec un sourire. Et son utilisation est tout aussi subtile. Solal a parfaitement su l’activer dans Ebdïon.

Lilu effleure doucement l’ovale situé entre les deux « C », son esprit évoquant le geste déterminé de son ami.

— Il n’est pas indispensable de toucher l’ovale pour que la Connaissance se manifeste, explique Casiteg. Cependant, pour y aller progressivement, il t’est possible d’utiliser cette technique en attendant de te familiariser pleinement avec cette nouvelle réalité. Es-tu prête maintenant à franchir la prochaine étape ? Celle qui te révélera le symbole de transmission de Gustave Moreau.

— Son symbole de transmission ?

— Tu as été mise sur cette piste par Lhu au moment où vous avez évoqué les êtres-lumières.

Une nouvelle fois, la voix suave de Lhu prononce à toute vitesse une multitude de phrases qui s’entremêlent dans son esprit. Pourtant, l’une d’elles émerge plus distinctement que les autres :

— « Les êtres-lumières sont des réminiscences de la Connaissance. Ils cherchent à la faire revenir sur Terre », énonce-t-elle, presque instinctivement. Je n’avais pas vraiment compris comment ça

fonctionnait à ce moment-là.

— Maintenant, tu le comprends, car ces êtres-lumières détiennent des symboles de transmission. Chaque artiste, qu’il en ait conscience ou non, a été attiré par un sujet particulier. Quelques-uns ont été volontairement mis sur la piste de leur symbole de transmission.

Les mots de Lhu s’imbriquent les uns aux autres, comme les pièces d’un puzzle enfin complet. Lilu cligne des yeux. L’étincelle de compréhension qui traverse son regard pousse Casiteg à continuer.

— William Turner, par exemple, était fasciné par les couchers de soleil, cherchant à capturer les messages de l’atsol dans ses toiles. Gustav Klimt voyait dans la couleur or bien plus qu’une

simple teinte, comme une porte vers une autre dimension. Jérôme Bosch tirait son inspiration du monde des insectes et des petits animaux, révélant des univers insoupçonnés dans ses œuvres.

Et pour Gustave Moreau…

Il marque une pause. Lilu se penche légèrement en avant, suspendue à ses paroles.

— Tu découvriras cette vérité par toi-même. Il est nécessaire que je me retire de tes pensées afin que mon esprit n’interfère pas avec la Connaissance qui circule en toi, assure alors Casiteg,

sa voix empreinte de solennité.

À ces mots, une étrange sensation l’envahit, comme si une présence subtile se déployait en elle, glissant le long de ses fibres pour finalement s’évaporer par ses pores. Un sentiment de liberté la submerge, lui offrant pour la première fois depuis son réveil la capacité de penser par elle‑même. Une vague de puissance et de vitalité l’inonde, lui procurant une sensation de renouveau.

— Tu as vécu à la même époque que Moreau. Ton esprit, nourri de cette expérience, saura instinctivement où s’orienter pour trouver le souvenir pertinent. C’est à lui que tu dois faire

confiance maintenant.

Excitée, Lilu lève son doigt, mais Casiteg l’arrête d’un geste calme.

— Pour canaliser la Connaissance avec la plus grande clarté, il est essentiel de poser ta question avec précision. Je te guiderai pour ce premier essai : « Quel symbole de transmission de la Connaissance Gustave Moreau intégrait‑il dans ses œuvres ? » En procédant ainsi, tu favoriseras l’émergence d’une révélation nette.

Ayant du mal à contenir son impatience, elle s’exécute, appuyant un peu fort son index sur sa peau, et répète mentalement :

Quel symbole de transmission de la Connaissance Gustave Moreau intégrait-il dans ses œuvres ?

À peine ces mots prononcés dans son esprit, elle ressent une présence fluide et légère s’infiltrer en elle, se diffusant dans chaque parcelle de son être. Comme un courant invisible, la Connaissance s’installe en elle. Derrière ses paupières closes, des points lumineux émergent lentement. Puis, une image commence à s’y dessiner, comme si elle regardait un film projeté directement sur son esprit. Une scène familière, pourtant étrangère, prend forme : un souvenir qui ne lui appartient pas, mais qui l’appelle irrésistiblement…


ree

Maison de Gustave Moreau

14, rue Catherine de la Rochefoucauld, Paris, 1895


En haut des dernières marches de l’escalier, une atmosphère vaticanesque et studieuse régnait dans la pièce. La lumière du jour, filtrant à travers de lourds rideaux de velours pourpre, baignait la pièce d’une lueur douce et dorée. Des toiles imposantes, ornées de créatures mythologiques et de figures allégoriques, recouvraient les murs. Dissimulé dans un coin, un paravent laissait entrevoir le bout d’un lit à baldaquin. L’air était imprégné d’une légère odeur de peinture à l’huile et de vernis, mêlée au baume plus subtil de vieux livres. Au centre de la pièce se tenait Gustave Moreau, concentré sur une toile massive. Son regard, intense et pénétrant, scrutait les profondeurs de son sujet, tandis que sa main agile ajoutait des touches délicates de couleur avec précision. Il portait une blouse de travail maculée de taches de peinture, ses cheveux gris ébouriffés par la concentration et les longues heures passées à l’œuvre. Un craquement de plancher annonça la présence d’un visiteur. Moreau leva la tête, un sourire en coin se dessinant sur son visage.

— Mon cher Bertrand-Jean, que me vaut ce si délicieux plaisir de vous voir ici ?

Son visiteur, un homme de taille moyenne à la silhouette svelte et légèrement voûtée, lui sourit en retour.

— Vous n’arriverez donc jamais à m’appeler Odilon, fit remarquer Redon. Et rendre visite à un ami, n’est-ce pas la meilleure raison ?

— Je vous l’accorde ! Cependant, je sais que vous avez certaines questions à me poser qui nécessitent toute ma concentration. Je dois toutefois avancer cette commande pour notre ami Léopold Goldschmidt, qui s’impatiente. Si je la lui rends inachevée, le message de la Connaissance ne pourra pas être transmis.

— Essayeriez-vous de concurrencer le grand génie Léonard de Vinci avec toutes vos œuvres inachevées ?

Redon lança un clin d’œil à Moreau, qui, concentré, ne réagit pas. La langue coincée entre les dents, ce dernier appliquait de la couleur rouge sur une épée tenue par une femme.

— Vous remettez donc l’épée dans…

Il s’approcha de l’immense toile, essayant d’en comprendre le thème.

— Jupiter et Sémélé ! répondit Moreau, les sourcils froncés.

— Jupiter et Sémélé, rien que cela…, répéta l’autre peintre, un air impressionné devant la grandeur de l’œuvre. C’est ce sujet qui représente donc…

— Mon testament pictural, le coupa l’artiste dans un soupir.

Redon lui lança un regard plein de compassion sachant pertinemment la raison de la présence du lit dans la pièce, mais s’abstint de tout commentaire.

— C’est pour cela que j’ai choisi comme sujet le moment où la Destruction a créé le déséquilibre. Cette œuvre m’est apparue en rêve après avoir pris connaissance d’un texte bien particulier qui m’a

été offert par nos amis communs.

— Vous avez été missionné par Al Merf ! s’exclama Redon, un soupçon d’admiration mêlé à de l’envie dans la voix. Mon orgueil me presse alors de déchiffrer votre cadeau au monde…

Remontant ses lunettes rondes à monture fine, il examina alors durant de longues minutes chaque recoin de l’œuvre déjà peint par Moreau.

— Gustave, pourriez-vous m’éclairer ? demanda soudain Redon. Votre épée n’est pas entièrement rouge, comme sur vos autres œuvres. Ici, vous y avez ajouté du gris. Pourquoi ce changement ?

Moreau se frotta les mains avec un léger sourire.

— Un petit jeu d’esprit vous tenterait-il ?

— Puis-je vous poser d’abord une question ou est-ce formellement défendu dans notre jeu ?

— Je vous en prie, faites donc.

— Cette petite bosse à la jonction entre les deux couleurs semble avoir une apparence animale, serait-ce un crocodile ?

— Votre œil minutieux continue de m’étonner, surtout pour un élément aussi subtil que celui-ci. Et pour être plus précis, il s’agit d’un crocodile du Nil dont l’ajout m’a paru indispensable. Mais il n’a pas d’intérêt pour notre jeu d’esprit, il est destiné à d’autres.

— À qui donc ?

— Je vous révélerai peut-être ce secret un autre jour. Revenons à notre jeu. Quel message transmettent ces deux nuances, selon vous ?

Les sourcils froncés, Redon resta concentré pendant quelques secondes, scrutant attentivement chaque détail méticuleusement disposé par Moreau. Après un moment, il répondit d’un ton incertain :

— Je resterai sur l’Égypte, mais je partirai sur les yeux de Râ et d’Horus. L’œil d’Horus représente la Lune. Sa couleur grise incarne l’harmonie, la femme, la passivité, et fait écho à la Terre. L’œil de Râ, aussi appelé l’œil qui voit tout, est figuré par un disque solaire. Le rouge symbolise l’action, la force, l’énergie, et fait écho au Ciel. Nous sommes donc dans l’union du Ciel et de la Terre. Votre symbole de transmission est lié à la création d’une agoïatre dont l’eau, rouge à sa naissance, tendra vers le gris à la fin de son existence. 

Moreau laissa un rictus de satisfaction se dessiner sur ses lèvres.

— Il m’a fallu plus de trente ans pour intégrer ces deux couleurs dans mon art et les harmoniser parfaitement avec mon épée. J’aurais été bien embêté si vous aviez trouvé la réponse en quelques minutes.

Redon réajusta ses lunettes et dit :

— Mon ami, je souhaite voir cette œuvre achevée. Alors, continuez votre art autant de temps que nécessaire. Je vais patienter en examinant vos autres chefs-d’œuvre et, comme un jeu d’esprit, je

décrypterai chaque message que vous avez habilement dissimulé dans chacune de vos toiles. Je patienterai jusqu’au dîner pour vous parler du sujet qui m’a amené à vous rendre visite aujourd’hui.

Redon parcourut l’atelier, examinant les dessins éparpillés, puis s’arrêta sur une aquarelle. Il l’attrapa, l’observa avec attention, inclinant la tête à gauche puis à droite, la rapprochant et l’éloignant, la scrutant encore et encore.

— Qu’est-ce donc ? demanda-t-il finalement, un air circonspect sur son visage.

Moreau leva brièvement les yeux avant de retourner à son tableau.

— Une aquarelle représentant la Tentation de saint Antoine.

Redon jeta un coup d’œil plus que dubitatif vers Moreau.

— Ceci, la Tentation de saint Antoine ? Je n’y vois que des enchevêtrements de couleurs et d’aplats, de formes disparates et d’une audace qui frôle le défi.

Moreau esquissa un sourire narquois sur son visage creusé.

— Vous savez, mon très cher ami, cette aquarelle me représente parfaitement. Je ne crois ni à ce que je touche ni à ce que je vois, mais uniquement à ce que je sens… Mon sentiment intérieur seul me paraît éternel et incontestablement certain.

— Nous partageons ce point de vue, répliqua Redon. Mais perdre toute forme au profit de la couleur pour évoquer une vision me laisse perplexe.

Il examina l’œuvre avec minutie, ses yeux d’un bleu profond scrutant chaque détail.

— Qu’avez-vous placé au centre ? demanda-t-il en désignant deux formes floues. 

Moreau, absorbé dans l’application de couleur sur l’épée, ne répondit pas. Redon continua son observation, cherchant à percer le mystère de la composition.

— Cela pourrait-il représenter saint Antoine auréolé, tenté par une femme ? Est-ce pour cela que cette figure a la couleur la plus lumineuse ?

Le silence de Moreau face à cette question attisa la frustration de Redon.

— Peut-être que je me trompe, se corrigea-t-il. Vos couleurs parlent, je dois les interpréter. Mais cette ombre sombre devant saint Antoine n’a pas de nuance maléfique. Elle semble lui toucher le front, presque pour le bénir ou le baptiser. Ou… est-ce saint Antoine qui est enlacé par la Vierge Marie ?

Moreau resta muet, crispant un peu plus Redon.

— C’est presque impossible à déchiffrer, s’exaspéra-t-il. Vous mettez mon esprit à l’épreuve !

— Pourquoi vous acharnez-vous à interpréter les couleurs que vous voyez ? demanda finalement Moreau. Pourquoi ne laissez-vous pas votre être-lumière les interpréter ?

D’un geste nerveux, Redon remonta encore une fois ses lunettes.

— Cela fait maintenant cinq ans que je suis en pleine transformation picturale, expliqua-t-il alors. Mes noirs et blancs ont suffisamment représenté la vision primitive de l’homme, cette vision binaire. Je dois m’élever. Les couleurs représentent une vision de la vie que nous ignorons. Elles révèlent l’invisible et le rendent visible. Ici, je peux discerner comment les couleurs symbolisent les néombres et les sangs d’ombre qui habitent vos nuits. Pourtant, je reste fixé sur cette femme et ce que je considère comme saint Antoine. Pourquoi les avoir placés ici ? Pourquoi au milieu de cet amas de couleurs ? Quel est votre message…

Redon ne termina pas sa phrase. Il pâlit soudainement avant de s’effondrer au sol. Son corps se contracta violemment, ses membres frappant le plancher de manière incontrôlée, ses yeux grands ouverts et fixes, ses lèvres crispées en une grimace de douleur. Moreau, d’abord figé par la surprise, recula, puis comprenant la détresse de son ami, il s’agenouilla à ses côtés, essayant d’apporter son aide. Mais en vain. Les yeux de Redon, toujours grands ouverts, révélaient des pupilles dilatées fixées sur un point invisible. Après de longues minutes, les convulsions diminuèrent lentement, et il resta immobile.

— Mon ami, votre maladie est revenue…

Moreau posa doucement sa main sur la poitrine de Redon, qui, les yeux à demi clos, murmura :

— J’ai été visité, mon cher Gustave.

— Une nouvelle vision ?

Redon esquissa un sourire ravi.

— J’ignore comment, mais deux femmes se tenaient là, dans une lumière d’un bleu si… si…

Il s’interrompit un moment, puis se redressa d’un coup et reprit avec un enthousiasme surprenant :

— Je ferai ressortir tout cela avec du pastel. Les lumières embrumeront l’œuvre de bleus, de rouges et de jaunes. Les deux femmes seront les véritables sources de couleur dans cette toile. La lumière viendra d’elles seules. Mais le bleu ne sera pas ordinaire. Non, il sera doux et majestueux, pénétrant l’œil sans l’agresser. Il invitera sans voler la vedette aux protagonistes, habillant le décor de manière… délicieuse !

Il s’arrêta un instant pour reprendre son souffle. Puis, comme pris d’une urgence soudaine, il saisit le col de Moreau et demanda :

— La lumière ! Je dois faire ressortir la lumière. Comment puis-je accomplir cela ? Avez-vous une idée ?

Moreau contempla Redon, à demi relevé, la mine réjouie.

— Mon cher ami, plongez-vous dans le Traité des couleurs de Goethe. Il pourrait bien être la source d’inspiration que vous cherchez.

— Vous croyez ?

— Absolument. Ce traité a été une révélation pour moi. Grâce à lui, j’ai pu donner au bleu de mon fond cette intensité unique. Vous savez, il a inspiré plusieurs autres peintres, et même William Turner y a puisé des idées pour faire évoluer la lumière dans ses œuvres.

— Je suivrai votre conseil, mon ami, et j’y trouverai sans doute les réponses à mes questions sur la couleur.

Un sourire satisfait se dessina sur le visage de Moreau. Après un bref silence, il poursuivit avec une certaine solennité :

— L’amitié et le respect qui nous lient sont inestimables, tout comme ce secret que nous partageons. C’est pourquoi j’ose vous faire une demande qui m’est venue soudainement.

— Je vous écoute.

— Avec les années, vos couleurs vont évoluer, enrichissant les messages que vous souhaitez transmettre. Mais il ne faut pas sous-estimer l’importance des titres de vos œuvres. Si je devais formuler un vœu, après ce que vous venez de me confier sur votre vision, ce serait que vous nommiez votre prochain tableau La Visitation


ree

Sur ces derniers mots, l’image de la Connaissance se dissipe lentement dans l’esprit de Lilu, ne laissant derrière elle qu’une sensation d’apaisement. C’est comme si le souvenir de cette discussion la reconnectait peu à peu à une part d’elle‑même qu’elle ignorait avoir perdue.

— Voici ta première véritable immersion depuis le retour de la Connaissance, murmure Casiteg de sa voix enveloppante. C’est envoûtant de la retrouver, n’est‑ce pas ?

Pour la première fois depuis son réveil, les traits tendus de Lilu s’adoucissent. Ces sons lui ont procuré une quiétude si profonde qu’elle ne désire qu’une chose :

— Est-ce que je peux les entendre à nouveau ?

— Il te sera possible de plonger dans le passé autant de fois que tu le souhaites lorsque tu maîtriseras la Connaissance.

L’enthousiasme illumine aussitôt les yeux de Lilu.

— Mais pour l’heure, nous devons discuter d’un point crucial, précise-t-il avec un certain empressement. Je n’ai pas choisi Moreau par hasard. Il a lu un texte mentionnant le déséquilibre dans la Grande Source et a décidé de l’interpréter dans cette toile. Les humains, grâce à leur déconnexion de la Connaissance, peuvent percevoir des signes auxquels nous, êtres connectés, sommes parfois inattentifs. Toi, qui as vécu parmi eux, tu possèdes une vision unique. Peut-être qu’en reliant ses œuvres à d’autres indices, tu pourras trouver des pistes pour le retour de l’équité. Alors, selon toi, pourquoi ce souvenir est-il apparu dans ton esprit ?

Lilu reste silencieuse un instant, scrutant ses souvenirs. Puis, d’une voix hésitante, elle répond :

— Odilon Redon rendait visite à Moreau pendant qu’il peignait Jupiter et Sémélé. Le texte… le texte était déjà recouvert. Et dans cette discussion, Redon essayait de découvrir le symbole de transmission de Moreau. Mais il ne le comprenait pas. Et il a eu une vision pendant une de ses crises d’épilepsie.

Elle s’interrompt brusquement, se remémorant :

— Lhu m’avait dit que Moreau voyait les sangs d’ombre et néombres dans ses cauchemars. Que Kay Sage, elle, les retrouvait dans les hommes. Et qu’Hokusai, toujours, peignait les éléments pour chasser ses idées noires. Mais il ne m’avait rien dit de Redon. Était-ce sa maladie qui déclenchait son être-lumière ? Est-ce pour que je le comprenne que mon esprit a dirigé la Connaissance sur cet instant ?

Essayant de faire les liens entre toutes les informations reçues, une mélancolie insidieuse émerge peu à peu, et les souvenirs liés à Jupiter et Sémélé déferlent dans son esprit. Elle se rappelle la façon dont Guillaume l’a guidée vers cette piste, Andreï l’a encouragée à se confier à son entourage, et le rôle clé de Solal à chaque étape de sa quête. La douceur maternelle de Rosa lorsqu’elle la laissait partir à la découverte d’Al Merf, de l’évolution de sa relation conflictuelle avec Victor, et de la trahison dévastatrice de son professeur, qui a bouleversé sa vie. En un instant, les pièces de ce puzzle complexe semblent se désassembler, engendrant un malaise profond qui s’ancre dans son esprit, perturbant la clarté qu’elle avait commencé à ressentir.

Il y a un problème… Il manque quelque chose.

À peine ces mots ont-ils traversé son esprit que son cœur s’emballe. Autour d’elle, le brouillard se déforme, comme s’il se resserrait pour l’enfermer dans un étau invisible.

Il manque quelque chose, pense-t-elle à nouveau. Pourquoi ai-je été privée de la Connaissance ?

Elle sent ses forces l’abandonner tandis qu’un froid surnaturel envahit chaque parcelle de son corps. Elle s’effondre au sol avec un cri étouffé. Une main la fait se tourner tandis qu’elle entend Casiteg, dont la voix se fait de plus en plus lointaine, admettre :

— Lilu, peut-être ai-je demandé trop de réflexion à ton esprit alors que tu reviens à peine parmi nous. Il serait préférable que tu plonges dans un sommeil profond afin de te ressourcer. Nous nous replongerons dans le passé des artistes lorsque tu seras un peu plus forte.

Étendue sur la glace continentale, elle ne semble plus l’entendre.

Pourquoi ai-je été privée de la Connaissance ?

Sans résistance, elle se laisse sombrer, une pensée la traversant :

Pourquoi ai-je été envoyée sur Terre ?


À suivre...

Pour commander votre livre, c'est ICI.

 
 
 

Posts similaires

Voir tout

Commentaires


llll.jpg

Livre 1

Découvrez les 5 premiers chapitres

OU

Livre 2

bottom of page