Chapitre V
- Pauline D'Elbée
- 15 sept.
- 12 min de lecture
— Antoine, tu bouges ? On va finir par être en retard, hurle Solal, assis sur le canapé de Lola.
Une semaine sur deux, Antoine fait le voyage depuis Londres pour passer le week-end avec Lola, profitant de cette occasion pour assister aux matchs du Stade français.
— C’est toi qui dis ça ! rétorque ce dernier, dont la masse de cheveux châtains déstructurés passe par l’encadrement de la porte. Et toi, tu ne réagis pas ? lance-t-il à l’intention de Lola, qui est postée sur la marche de sa porte-fenêtre, occupée à fumer une cigarette.
— Il a raison ! On va louper le début du match si tu ne te bouges pas, le raille-t-elle.
À ces mots, Antoine repart dans la chambre en grommelant.
— Alors, t’en penses quoi ? demande Lola à Solal. Tu comprends quelque chose à ces textes, toi ?
Entre ses mains, son ami tient les trois feuilles que Guillaume lui a confiées.
— Non, rien de rien. Par contre, cette histoire de Science Infuse conservée dans les gènes des hommes, ça me dit quelque chose. Mais je n’arrive pas à me rappeler où je l’ai déjà entendu.
— Lola ? l’interrompt la voix étouffée d’Antoine depuis la chambre. Où tu as rangé mon maillot, s’il te plaît ? Je ne trouve rien dans ta montagne de fringues.
— Pourquoi tu ne m’as pas demandé avant ? s’écrie-t-elle en se levant d’un bond. Tu vas encore mettre le bordel dans mon armoire.
Solal entend Lola râler dans la pièce d’à côté, mais n’y prête pas attention. Il fouille désespérément dans sa mémoire, essayant de se souvenir où il a entendu parler de cette Connaissance innée. Puis, en relisant une énième fois l’extrait de la lettre de Gustave Moreau adressée à Léopold Goldschmidt, une discussion entre Anna et Victor lui revient…

— Mais arrête tes conneries, Anna ! s’agaça Victor d’un ton rêche. Ce que raconte ta fille est totalement irrationnel.
— Le monde de Lola est bien trop vaste pour que ce soit une simple coïncidence ! s’énerva alors Anna de sa voix forte, avec son accent espagnol prononcé. Victor, ma fille a quelque chose en plus.
— Tout parent normalement constitué pense que son enfant est extraordinaire, s’exaspéra-t-il. L’univers de Lola montre simplement qu’elle a une riche imagination et un esprit créatif.
— Arrête, je sais parfaitement ce que je dis ! s’irrita Anna. Elle sait des choses que nous ignorons…
— Non, mais tu dérailles complètement ! s’emporta Victor en levant les bras au ciel.
— ¡Dios mío! Ses amis imaginaires sont extrêmement complexes, et tous développés à partir d’éléments comme l’Eau ou le Feu. Ses forces et ses super-forces, dont elle nous parle sans arrêt depuis plusieurs semaines, reprennent des lois de la physique qu’une enfant est incapable de connaître. Elle est connectée à quelque chose…
— Anna, l’interrompit-il, elle répète simplement ce qu’elle entend. Lola est un véritable perroquet !
— Hier encore, elle m’a dit qu’on pouvait communiquer avec des ondes, s’obstina Anna, dont l’accent ressortait de plus en plus à mesure que sa colère grandissait. Des ondes, Victor ! Comment une enfant de quatre ans pourrait savoir ça ?
— Elle t’a entendu en parler et elle les a juste réutilisés dans son monde imaginaire !
— Je n’ai jamais parlé d’ondes devant elle, s’égosilla Anna. Elle détient un Savoir que nous n’avons pas !
— Là, ça devient grave ! éclata Victor en faisant les cent pas. Il faut qu’Alessandro arrête ses reportages, qu’il ne te laisse plus seule avec ta fille. Cette situation te monte à la tête, et tu en perds la raison. Ça devient vraiment dangereux. Pour Lola, mais aussi, et surtout, pour toi !
— Je sais ce que je dis, Victor, s’insurgea Anna. Je ne suis pas folle, je suis seulement…
— Qu’est-ce qu’il se passe ici ? demanda alors Rosa en entrant dans la pièce, tenant la petite main de Lola. Attendez, ne me dites pas que vous vous disputez devant Solal, leur fit-elle remarquer en leur jetant un regard glacial. Vous devriez avoir honte de hurler ainsi devant un enfant d’à peine cinq ans. Viens, mon cœur, dit-elle d’une voix maternelle en tendant son autre main vers Solal. On va aller se faire un chocolat chaud, avec une montagne de chantilly.

Les souvenirs de Solal s’arrêtent net à sa sortie de la pièce.
— Elle faisait vraiment des recherches sur le monde de Lola…, souffle-t-il d’une voix à peine audible, estomaqué. Pourquoi je me rappelle de ça maintenant ?
— Rappeler de quoi ? demande Antoine qui sort de la chambre, vêtu de son maillot, suivi de Lola.
Pris de court, Solal repose d’un geste les photocopies sur la table et se lève d’un bond pour mettre son blouson en disant :
— Rien, rien, je parle tout seul.
Et se retournant vers Lola, il ajoute :
— Cette semaine, ça te dit qu’on aille au musée Gustave Moreau et qu’on regarde les toiles de l’artiste ? En plus, il y a une nouvelle expo que tu vas adorer.
Solal sait que parler de musées ou d’expositions est le meilleur moyen de faire fuir Antoine. Ce dernier n’est pas à l’aise avec le monde de l’art et ne s’y intéresse que pour faire plaisir à Lola.
— Yes, je comptais y aller jeudi, lui répond-elle en enfilant une veste.



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