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Chapitre III

Dernière mise à jour : 29 oct.



Le brouillard s’épaissit, englobant Lilu dans une obscurité glaciale, ses muscles paralysés par le froid qui s’insinue jusqu’à ses os. Devant elle se dresse une créature insolite, parfaitement sphérique. Lilu tente de reculer, mais ses jambes refusent de bouger. La créature rebondit lentement, émettant un sifflement strident qui fait vibrer l’air.

Un… un néombre ?

Cette créature la fixe avec une intensité troublante. Soudain, tel un ressort, elle bondit en arrière et s’enfonce dans le brouillard, disparaissant en un instant.

Non ! Où est-il ?

Lilu, fébrile, scrute la brume. Ses mains levées, chaque bruit suspect, chaque craquement la font sursauter.

Putain, je n’y vois rien avec la brume.

Son cœur bat à tout rompre, s’attendant à voir le néombre surgir à tout moment. Un souffle glacé remonte le long de son dos, lui faisant pousser un hurlement de terreur. Elle se retourne d’un bond, les bras tendus devant elle. En voyant Casiteg, elle pousse un soupir de soulagement, puis s’étrangle aussitôt, le doigt levé vers la brume.

— Il… il y a un… un néombre ! Il s’est caché dans le brouillard. Il va… il va…

Les mots se perdent dans sa gorge. Elle s’attend à ce que Casiteg réagisse, qu’il fonce droit vers le danger, comme il l’avait fait sur Terre. Mais au lieu de cela, il se contente de sourire, dévoilant des dents aussi éclatantes et froides que la pureté des paysages enneigés. Ce calme inattendu la déstabilise. Son instinct crie d’agir, mais lui reste immobile. Et soudain, un bruit étrange perce le silence : un sifflement aigu, suivi du son d’un ballon qui se dégonfle, puis une éclaboussure lointaine. Son sang se glace.

— Casiteg, murmure-t-elle, d’une voix presque inaudible. C’est quoi, ce bruit ? C’est le néombre ?

Ses yeux grands ouverts scrutent la brume épaisse. Son cœur cogne contre sa poitrine, chaque battement résonnant jusque dans ses tempes. L’attente devient insupportable. Puis la voix de Casiteg s’élève enfin, son ton calme la faisant tressaillir.

— J’espérais que la Connaissance se révélerait d’elle-même à toi, mais il semble que ton esprit s’y refuse encore. Si tu avais voulu l’écouter, tu aurais découvert que ce n’était pas un néombre que tu as rencontré, mais un poumeste.

Un quoi ?

— Nous allons devoir rapidement régler cette histoire de maîtrise de la Connaissance, dit-il avec une pointe d’amusement, car, si je commence à t’expliquer chacune de mes phrases, l’équité ne sera jamais rétablie. Les poumestes sont des êtres mi-Eau mi-Air, des branches Algue et Gaz. Bien qu’ils n’existent pas sur Terre, il te sera possible d’en rencontrer plusieurs formes dans d’autres Cercles de la Grande Source.

— Mais cette voix glaciale ? s’étouffe-t-elle. C’était cette… chose ?

— Ce n’est pas le poumeste qui s’est adressé à toi. La patience n’est pas une vertu de Vestagu, et il n’a pas pu s’empêcher de se mêler à notre conversation. Il aurait été préférable que votre première rencontre soit plus… chaleureuse.

—Vestagu ?

— Il est mon opposé. Là où je suis l’Eau, lui est le Feu. Là où je suis l’Air, lui est l’Espace. Là où je suis l’Esprit, lui est le Sol. Nous nous complétons, nous équilibrons nos éléments, nos émotions et nos actions.

La main pressée contre sa poitrine pour ralentir les battements désordonnés de son cœur, Lilu tente de suivre.

— Pour t’apaiser, il est intéressant que tu saches que Vestagu ne t’est pas étranger. Si je t’évoque Sta, tu reconnaîtras sans peine cet être.

Sta ?

Entendre le nom d’un autre de ses amis imaginaires la rassure instantanément. Prenant alors conscience qu’aucune menace ne se cache dans le brouillard, Lilu relâche peu à peu la tension. La peur décroît lentement, remplacée aussitôt par une fatigue écrasante.

— En laissant tes émotions prendre le dessus, tu épuises ton énergie. Et comme tu demandes à ton enveloppe charnelle de créer en permanence des illusions, comme l’air ou tes jambes, tes forces s’évaporent plus rapidement encore.

En l’écoutant, un détail lui revient.

— J’ai glissé sur cette… chose. J’ai donc des jambes.

— Ton énergie est simplement entrée en résonance magnétique avec le poumeste, et tu as été projetée par une force de répulsion. Pour simplifier, ton énergie et celle du poumeste ont réagi comme des aimants se repoussant.

— Mais je marche sur le sol ! essaye-t-elle de comprendre. Je le sens sous mes pieds !

Elle appuie fermement sa voûte plantaire sur la glace.

Qu’est-ce que c’est que ça ? se demande-t-elle, surprise.

Jamais elle n’avait ressenti semblable sensation. Sous ses orteils, elle découvre une texture feutrée, presque veloutée, similaire à de la mousse. Le sol fond lentement comme de la neige au soleil, laissant échapper un bruissement léger. Ce qu’elle pensait granuleux devient lisse, presque liquide. Intriguée, elle appuie un peu plus fort, et s’enfonce alors dans une matière friable, presque poudreuse, mais d’une douceur incroyable. Une chaleur vaporeuse s’échappe alors de la glace, enveloppant ses orteils. Des crépitements minuscules résonnent autour de son pied, accompagnant la lente dissolution des cristaux de glace. Lilu a l’impression que la glace est vivante, réagissant à son toucher. Elle retire aussitôt son pied, le frotte avec insistance, cherchant à effacer la sensation. Mais rien n’y fait. L’impression persiste, ancrée jusque dans sa peau.

— La sensation est parfaite, car ton esprit associe plusieurs forces pour reproduire fidèlement ce que tu aurais ressenti en plongeant ton pied dans la glace. Pourtant, ce n’est qu’une illusion. Ce que tu crois sentir ne t’est connu que par la Connaissance. À ces mots, elle observe ses pieds, tentant de saisir la situation.

Une nouvelle fois, elle voit son drapé scindé en deux puis, dans un flash, redevenir unique pour ensuite récupérer sa forme initiale.

— Le mot « illusion » n’est peut-être pas approprié dans cette situation, dit-il en la voyant frapper frénétiquement ses jambes. Il semble perturber ton esprit plus qu’il ne t’éclaire. Je vais donc essayer une autre voie, peut-être plus simple, pour t’aider à accueillir cette réalité.

En prononçant ces derniers mots, une brise fraîche s’échappe de sa bouche aussi noire que du charbon et vient frôler le visage ocre de Lilu, telle une caresse. Au contact de cet air pur et vivifiant, un spasme traverse son corps et une nouvelle phrase de Lhu se fait entendre : « Ainsi, les blesser ou les écraser en leur marchant dessus lui est impossible. Les traverser et les esquiver est sa solution. » Elle regarde alors ses « fausses » jambes.

— Je ne peux pas, je n’y arrive pas, soupire-t-elle, lasse. Accepter que ce ne sont que des illusions, ce serait comme abandonner Lola.

Casiteg s’avance vers elle, touché par sa détresse.

— Je ne te demande pas de renoncer à tes jambes dès maintenant. Or, un jour, il te faudra accepter de laisser cette part de toi dans le passé. Et pour que tu comprennes à quel point c’est important, je te propose de te plonger dans une réalité différente de celle que tu as vécue. Une réalité alternée qui se serait produite si tu avais refusé d’écouter Lhu et que tu étais restée Lola. Une réalité où la Création n’aurait pas sauvé Terre des néombres et où ces derniers auraient pu détruire l’humanité…


 
 
 

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