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Chapitre III



Tout autour d’elle, une intense lumière se diffusait. Devant elle, un paysage féerique, aux multiples couleurs harmonieuses, se déployait. Ce décor, d’une beauté surnaturelle, semblait tout droit sortir d’un tableau de Paul Signac, qui aurait mêlé la douceur de ses points à la fougue de William Turner. Elle contemplait ce lieu avec de la hauteur, comme si sa tête avait été posée au sommet d’une montagne alors que le bas de son corps effleurait à peine le sol. Tout avait l’air paisible, comme encore endormi.

Au loin, deux silhouettes, semblables à de jeunes enfants, se dessinèrent. À mesure qu’ils s’approchaient, leur démarche singulière attira son attention. Leurs pieds semblaient s’enfoncer dans le sol, telles les racines d’une plante, pour les propulser avec légèreté dans sa direction. Étonnamment, leur apparence singulière ne suscitait aucune appréhension en elle. Les deux enfants ne ressemblaient en rien aux créatures angoissantes qu’elle avait l’habitude de voir dans ses cauchemars. Au contraire !

Lorsqu’ils arrivèrent à sa hauteur, elle posa doucement son regard sur eux. Elle se sentait immense à leurs côtés, comme si un arbre comparait sa taille à celle d’écureuillons. En observant ces deux petits êtres, quelque chose la troubla. Leurs yeux ! 
Leurs yeux étaient voilés, comme si quelqu’un y avait déposé un brouillard cotonneux. Elle se pencha alors en avant, essayant de voir si cette étrange brume se dissipait. Et au moment où elle fut enfin à leur niveau, elle…

Des vibrations sourdes tirent Lola de son doux rêve. Depuis le cauchemar de la semaine passée, c’était la première fois qu’elle se sentait apaiser en dormant. Elle ouvre lentement les paupières et attrape son téléphone, sans même regarder le nom qui s’affiche à l’écran.
— Allô, répond-elle encore endormie. 
— Allô, mon Sunshine ! Je rentre de mon verre ! Je te réveille ? demande une voix chaude. Comme tu ne m’as pas appelé pour me dire que tu allais te coucher, j’ai cru que tu étais encore debout…
Lola se redresse immédiatement. Elle s’était endormie sur son canapé en feuilletant les carnets de son père.
— Hello, mon cœur ! Oui, je me suis endormie comme une masse, dit-elle à Antoine. Je regardais les dessins de m…
Elle s’arrête net. Même s’il partage sa vie, Antoine n’est absolument pas au courant de son passé compliqué, de ses cauchemars, et encore moins des événements survenus l’année de ses quinze ans. 
— Je regardais des œuvres de Joan Miró pour mon rendez-vous de demain avec Maidet, ment-elle alors. La semaine est passée à une vitesse folle, je n’ai même pas eu le temps de regarder les surréalistes d’Amérique Latine. 
— OK ! Je vais te laisser te rendormir, tu as une petite voix. On s’appelle demain soir, après le dîner avec ta tante ? 
— Yes ! Je t’aime. 
— Moi aussi, je t’aime. À demain. 

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Le lendemain, Lola arrive à 8 h 30 devant le café situé à côté de la Sorbonne. Après l’appel d’Antoine, elle n’a pas réussi à retrouver le sommeil et a passé une partie de la nuit à parcourir les carnets de son père.
Étant la première sur les lieux, elle s’installe en terrasse, allume une cigarette, commande un café allongé et attend patiemment son professeur. Ce dernier ne devrait plus tarder. Pour passer le temps, elle ouvre son carnet sur une page vierge et commence à dessiner, au crayon à papier, plusieurs cercles qui s’entremêlent.
— Bonjour, Lola ! Vous allez bien ? la surprend une voix rocailleuse.
Par réflexe, Lola ferme son carnet d’un geste vif et sourit à son enseignant. 
— Bonjour, monsieur Maidet ! Très bien, et vous ?
Le professeur s’installe en face d’elle, commande un ristretto et allume un cigarillo.
— Alors, Lola, quels artistes allez-vous me présenter ? 
La jeune femme agite son stylo entre ses doigts, légèrement nerveuse. Elle feuillette son carnet pour retrouver sa liste, mais ne tombe que sur des pages recouvertes de ses dessins.
Oh non ! Elle est où cette putain de liste ? s’énerve-t-elle, le cœur battant à tout rompre. J’espère que j’ai pris le bon carnet…
M. Maidet fronce ses sourcils broussailleux, plisse les yeux et demande :
— Ce sont des dessins de Redon ?
— Non, je les ai faits comme ça, répond-elle avec un rire gêné. 
Avec soulagement, Lola trouve enfin sa liste. Elle explique alors à son professeur vouloir se concentrer sur les représentations des oiseaux dans les différentes civilisations, et lui énumère les artistes surréalistes qu’elle a sélectionnés avec l’aide de Solal. M. Maidet l’écoute attentivement, hochant la tête de temps en temps, et laissant échapper un bruit d’approbation entre deux bouffées de cigarillo. À la fin de son monologue, elle l’entend dire : 
— Je suis un peu déçu. Je pensais que vous me présenteriez une idée plus audacieuse.
Cette phrase lui fait l’effet d’une douche froide. 
— Pourtant, le dessin que j’avais aperçu lors de notre entrevue m’avait interpellé, enchaîne-t-il. C’est d’ailleurs pour cette raison que je vous avais laissé la semaine pour me convaincre. Les artistes m’ont toujours fasciné. Leur cerveau est différent. La plupart des élèves avec qui je collabore possèdent cette fibre artistique si particulière.
Déstabilisée par ce qu’elle entend, Lola commence à s’agiter sur sa chaise.
— Mes dessins, c’est compliqué…, dit-elle, embarrassée. 
— Cela ne le devrait pas ! la coupe-t-il d’un ton ferme. La créativité vous permet toujours de vous démarquer des autres. Elle vous rend unique. Et je pensais que ce serait votre atout pour sortir du lot. Il faut croire que je me suis trompé…
Les lèvres pincées, Lola fixe son carnet, en proie à un dilemme. 
Si je lui montre mes dessins, j’aurai peut-être une chance d’avoir le sujet mystère. Mais… s’il me pose trop de questions, qu’est-ce que je lui dirai ?
— Je pense que nous avons fini pour aujourd’hui. Vous pouvez me donner l’addition, s’il vous plaît ? demande M. Maidet au serveur.
Oh, et puis merde ! 
Sans réfléchir, Lola rouvre son carnet et le feuillette jusqu’à tomber sur deux créatures cauchemardesques. L’une est une sorte de triangle inversé évidé, recouvert intégralement d’épines où deux cubes, creusés par de sombres rectangles, y sont posés. L’autre est représentée par trois cercles entrelacés. Le premier d’entre eux est entouré de piques aiguisées, le deuxième orné de dents cornues, et le troisième transpercé par des sabres ensanglantés. Elle s’y arrête, hésite un instant, et tend finalement le cahier à son professeur. 
— Vous voulez les voir ? propose-t-elle d’une voix incertaine. 
Surpris, M. Maidet recule légèrement sa tête, puis affiche un large sourire, dévoilant ses dents qui se chevauchent. 
Durant un moment, il observe minutieusement les deux dessins, passant la main dans sa barbe. Puis il tourne la page et découvre d’autres croquis, plus complexes encore. Sans expression, il les décortique, et, pour en examiner les détails, fait parfois pivoter le carnet sur le côté. Nerveuse, Lola triture la manche en maille de son gros pull, élargissant un peu plus le trou qui s’y est formé. 
— Vos dessins sont stupéfiants ! assure-t-il d’un coup, la prenant totalement au dépourvu. Ils contiennent des détails incroyables, qui me rappellent le style de nombreux artistes. Vous mixez plusieurs époques avec différents courants. Je dois avouer que c’est assez déroutant. 
Il se tait un instant, affichant soudain un air sérieux. 
— Lola, finalement, je pense que nous tenons quelque chose.
Elle lève un sourcil, intriguée et excitée à la fois. 
— Connaissez-vous Gustave Moreau ? demande-t-il en lui rendant son carnet. 
— Je connais ses plus grandes œuvres, répond-elle en effleurant du bout des doigts la médaille de sa mère. Pourquoi ? 
— Vos êtres surnaturels, dans leurs détails, ont des similitudes avec les siens.
Pensive, Lola fixe ses dessins, penchant la tête d’un côté à l’autre, cherchant une quelconque ressemblance. 
— Comme vous le savez, chaque année je choisis un élève et l’oriente sur un sujet inédit. 
En entendant sa phrase, les yeux de Lola se mettent à briller. 
— J’ai été récemment contacté par un ami, et nous avons convenu qu’un élève pourrait travailler avec lui sur une découverte liée à l’une des toiles de Moreau, précise-t-il avec une pointe excitation dans la voix.
Quoi ? Quelle toile ? Il y a eu une découverte sur Moreau ?
Pour tenter de calmer son excitation grandissante, elle allume une cigarette et inhale une longue bouffée.
— Je pense que vous seriez parfaite pour cette tâche ! déclare-t-il après un instant. 
Lola est si surprise qu’elle manque de s’étouffer. 
Il me donne le sujet mystère ? s’exclame-t-elle en pensée, n’en croyant pas ses oreilles. 
— Est-ce que vous vous sentez capable de collaborer avec nous sur cette découverte ? veut-il alors savoir. 
Pendant un instant, Lola reste sans voix. Puis, réalisant qu’il lui a posé une question, elle ouvre la bouche et laisse échapper la seule phrase qui lui vient à l’esprit : 
— Quelle toile ?
— Je vais prendre votre question pour un « oui », dit M. Maidet, amusé par sa réaction. M. Guillaume Aupuduy vous expliquera tout directement. Mais je tiens à clarifier un point important. C’est un travail de chercheuse qui vous est offert. Nous attendrons de vous une véritable implication et des propositions constructives. Si je constate que vous n’êtes pas à la hauteur, vous pourriez être retirée du projet. 
Ces derniers mots font immédiatement retomber l’enthousiasme de Lola.  
— Nous devons y aller, les cours vont bientôt commencer, indique-t-il en regardant sa montre. Je vais l’appeler pour fixer un rendez-vous le plus rapidement possible. Je vous tiens au courant.
Lola hoche la tête, ayant toujours du mal à croire que M. Maidet lui offre une telle opportunité. 
— Une dernière chose, ajoute-t-il après avoir réglé l’addition. Il est préférable que cette discussion reste entre vous et moi. En tout cas, jusqu’à ce que M. Aupuduy vous expose toute la situation…

 
 
 

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